La Nullité pour Défaut de Figuration d’une Partie Nécessaire en Droit Français

Le formalisme juridique constitue un pilier fondamental dans la validité des actes de procédure. Parmi les causes susceptibles d’entraîner l’invalidation d’un acte figure le défaut de figuration d’une partie nécessaire, sanction radicale qui frappe de nullité l’ensemble de la procédure concernée. Cette problématique, à l’intersection du droit processuel et du droit substantiel, soulève des questions complexes quant à l’identification des parties indispensables, la nature de la nullité encourue et ses effets sur le procès. La jurisprudence française a progressivement élaboré une doctrine sophistiquée en la matière, établissant un équilibre délicat entre respect du formalisme et efficacité judiciaire. Examinons les fondements, mécanismes et implications pratiques de cette cause de nullité qui demeure au cœur de nombreux contentieux.

Fondements juridiques et conditions d’application de la nullité pour défaut de figuration

La nullité pour défaut de figuration d’une partie nécessaire trouve ses racines dans plusieurs textes fondamentaux du droit processuel français. L’article 114 du Code de procédure civile pose le cadre général des nullités de procédure, tandis que l’article 117 du même code précise les conditions des nullités pour irrégularité de fond, catégorie à laquelle appartient généralement cette forme de nullité. Ces dispositions s’articulent avec l’article 121 qui prévoit que les exceptions de nullité doivent être soulevées simultanément à peine d’irrecevabilité.

Le défaut de figuration constitue une irrégularité substantielle lorsqu’une personne dont la présence est juridiquement indispensable à la validité de l’instance n’est pas appelée ou représentée. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à maintes reprises que cette nullité sanctionne l’atteinte au principe du contradictoire et au droit fondamental d’accès au juge.

Identification des parties nécessaires

La qualification de « partie nécessaire » dépend de critères stricts développés par la jurisprudence :

  • Les personnes ayant un intérêt direct et personnel à l’issue du litige
  • Les titulaires d’un droit indivisible avec celui objet du litige
  • Les parties dont la présence est explicitement requise par un texte légal spécifique
  • Les personnes dont les droits seraient irrémédiablement affectés par la décision à intervenir

Le Conseil d’État et la Cour de cassation ont développé des approches convergentes sur cette question, exigeant que l’omission d’une partie nécessaire soit sanctionnée par la nullité de la procédure. Dans un arrêt de principe du 12 mars 2008, la première chambre civile a rappelé que « l’absence d’une partie nécessaire à la solution du litige constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l’acte ».

La détermination du caractère nécessaire d’une partie s’apprécie in concreto, en fonction de la nature du litige et des effets potentiels de la décision sur les droits des tiers. Ainsi, dans le cadre d’une action en nullité d’un contrat synallagmatique, l’ensemble des cocontractants constitue des parties nécessaires. De même, dans un litige relatif à une indivision, tous les indivisaires doivent figurer à l’instance.

Cette appréciation s’avère parfois délicate, notamment dans les contentieux complexes impliquant des chaînes contractuelles ou des groupes de sociétés. La jurisprudence tend vers une interprétation restrictive de la notion de partie nécessaire, limitant cette qualification aux situations où l’absence d’une personne compromet véritablement la possibilité d’une solution juridiquement cohérente.

Régime juridique de la nullité et ses spécificités procédurales

Le régime juridique de la nullité pour défaut de figuration d’une partie nécessaire présente des caractéristiques particulières qui le distinguent des autres cas de nullité procédurale. Il s’agit généralement d’une nullité pour irrégularité de fond, régie par les dispositions des articles 117 à 121 du Code de procédure civile, ce qui lui confère un statut privilégié dans la hiérarchie des nullités.

Contrairement aux nullités pour vice de forme, la nullité pour défaut de figuration n’est pas soumise à l’obligation de démontrer un grief. L’article 119 du Code de procédure civile précise en effet que « les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être proposées en tout état de cause ». Cette dispense de l’exigence du grief témoigne de la gravité accordée par le législateur à ce type d’irrégularité.

Modalités d’invocation et délais

L’exception de nullité pour défaut de figuration obéit à un régime procédural spécifique :

  • Elle peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel
  • Le juge peut la relever d’office en vertu de l’article 120 du Code de procédure civile
  • Elle n’est pas soumise aux délais de forclusion applicables aux nullités de forme
  • Elle doit être invoquée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, sauf si elle se révèle ultérieurement

La chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé dans un arrêt du 5 novembre 2013 que « la nullité résultant du défaut de figuration d’une partie nécessaire constitue une irrégularité de fond qui peut être soulevée en tout état de cause et que le juge doit relever d’office lorsqu’elle est d’ordre public ».

Toutefois, la jurisprudence récente tend à encadrer cette faculté d’invocation tardive pour prévenir les manœuvres dilatoires. Ainsi, la deuxième chambre civile, dans un arrêt du 9 janvier 2020, a rappelé que le moyen tiré du défaut de figuration d’une partie nécessaire ne peut être accueilli lorsqu’il est invoqué abusivement à un stade avancé de la procédure alors que la partie qui s’en prévaut en avait connaissance depuis l’origine.

La mise en œuvre de cette nullité s’accompagne d’un formalisme strict : le défendeur doit explicitement qualifier son moyen d’exception de nullité pour irrégularité de fond, en précisant la partie dont l’absence vicie la procédure et en démontrant son caractère nécessaire. À défaut, le moyen risque d’être requalifié en fin de non-recevoir, soumise à un régime moins favorable.

L’ensemble de ces règles procédurales confère à la nullité pour défaut de figuration un caractère hybride, à mi-chemin entre l’exception procédurale et le moyen de défense substantiel, reflétant la double nature de l’irrégularité qu’elle sanctionne.

Effets de la nullité et possibilités de régularisation

La nullité pour défaut de figuration d’une partie nécessaire produit des effets radicaux sur la procédure en cours. Lorsqu’elle est prononcée, elle entraîne l’anéantissement rétroactif de l’acte de procédure concerné et, potentiellement, de tous les actes subséquents qui en dépendent. Cette conséquence drastique s’explique par la nature fondamentale de l’irrégularité sanctionnée, qui affecte la constitution même de l’instance.

Dans un arrêt du 4 mai 2017, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que « la nullité pour défaut de figuration d’une partie nécessaire affecte l’ensemble de la procédure et non seulement l’acte introductif d’instance ». Cette solution jurisprudentielle confirme la portée extensive de cette nullité, qui peut conduire à l’anéantissement complet d’une procédure parfois longue et coûteuse.

Techniques de régularisation

Face à cette sanction sévère, le législateur et la jurisprudence ont développé plusieurs mécanismes de régularisation :

  • L’intervention volontaire de la partie omise (article 66 du Code de procédure civile)
  • L’assignation en intervention forcée à l’initiative d’une partie déjà présente (article 331 du Code de procédure civile)
  • La mise en cause d’office ordonnée par le juge (article 332 du Code de procédure civile)
  • La jonction d’instances lorsque des procédures parallèles impliquent les parties complémentaires

La Cour de cassation a progressivement assoupli sa position quant à la possibilité de régularisation. Dans un arrêt du 13 septembre 2018, la troisième chambre civile a admis que « l’irrégularité résultant du défaut de figuration d’une partie nécessaire peut être couverte par l’intervention volontaire ou forcée de cette partie avant que le juge statue ». Cette solution pragmatique permet d’éviter l’annulation de procédures avancées lorsque l’omission peut être réparée sans préjudice pour les droits des parties.

La régularisation doit intervenir avant que le juge ne statue sur le fond, mais la jurisprudence admet qu’elle puisse avoir lieu jusqu’en cause d’appel. Toutefois, cette possibilité connaît des limites, notamment lorsque la régularisation tardive porte atteinte aux droits de la défense ou au principe du double degré de juridiction.

Les effets de la régularisation varient selon sa nature et son moment : l’intervention volontaire précoce peut avoir un effet rétroactif, validant l’ensemble de la procédure antérieure, tandis qu’une mise en cause tardive ne préserve généralement que les actes postérieurs à l’intervention. La détermination précise de ces effets relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation quant à la qualification juridique des faits.

Cette approche équilibrée témoigne de la recherche d’un compromis entre le respect des exigences formelles et le souci d’économie procédurale, permettant d’éviter des annulations systématiques lorsque la finalité protectrice de la règle peut être atteinte par d’autres moyens.

Applications sectorielles et spécificités par matière juridique

La problématique du défaut de figuration d’une partie nécessaire revêt des caractéristiques particulières selon les domaines du droit concernés. Chaque matière juridique présente ses propres enjeux et développe des solutions spécifiques adaptées à ses finalités.

En droit des sociétés

En matière sociétaire, la question se pose avec acuité dans plusieurs types de contentieux. Les actions en nullité de délibérations sociales illustrent parfaitement cette problématique : la jurisprudence considère généralement que la société elle-même constitue une partie nécessaire, même lorsque l’action est dirigée contre certains associés ou dirigeants. Dans un arrêt du 12 juillet 2016, la chambre commerciale a cassé un arrêt d’appel qui avait statué sur la nullité d’une assemblée générale sans que la société concernée ait été mise en cause.

De même, dans les contentieux relatifs à la cession de droits sociaux, l’ensemble des parties au pacte d’actionnaires ou à la convention de cession doit figurer à l’instance. La jurisprudence exige également la mise en cause de tous les associés dans les actions touchant aux statuts ou aux modifications du capital social.

En droit immobilier

Le contentieux immobilier est particulièrement sensible à cette cause de nullité. Dans les actions concernant la copropriété, le syndicat des copropriétaires constitue une partie nécessaire pour toute demande affectant les parties communes. La troisième chambre civile, dans un arrêt du 8 mars 2018, a rappelé que « l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage liés à des désordres affectant les parties communes doit être dirigée contre le syndicat des copropriétaires, à peine de nullité de la procédure ».

En matière de servitudes, tous les propriétaires des fonds dominant et servant doivent figurer à l’instance. De même, dans les litiges relatifs à l’indivision, l’absence d’un indivisaire entraîne la nullité de la procédure, sauf à démontrer que ses droits ne sont pas affectés par l’objet du litige.

En droit des contrats

Dans le domaine contractuel, la nullité pour défaut de figuration s’applique principalement aux actions en nullité ou en résolution de contrats synallagmatiques. La première chambre civile a posé le principe selon lequel « l’action tendant à l’anéantissement d’un contrat doit être dirigée contre toutes les parties à ce contrat, à peine de nullité de la procédure ».

Cette règle connaît toutefois des exceptions en matière de chaînes contractuelles ou de groupes de contrats, où la jurisprudence adopte une approche plus nuancée, n’exigeant la présence que des parties dont les droits sont directement affectés par la demande.

En droit des procédures collectives

Dans le cadre des procédures d’insolvabilité, des règles spécifiques s’appliquent. L’action en extension de procédure collective nécessite la mise en cause de toutes les entités concernées. De même, les actions en responsabilité pour insuffisance d’actif doivent impérativement inclure le liquidateur judiciaire comme partie à l’instance.

La chambre commerciale a précisé dans un arrêt du 3 octobre 2019 que « l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif dirigée contre plusieurs dirigeants constitue une instance unique dans laquelle tous les défendeurs sont nécessairement parties », consacrant ainsi une application stricte de l’exigence de figuration.

Ces applications sectorielles témoignent de l’adaptation pragmatique du principe général aux spécificités de chaque matière, les juges modulant l’identification des parties nécessaires en fonction des enjeux propres à chaque type de contentieux et des finalités protectrices de la règle de procédure.

Évolutions jurisprudentielles et perspectives d’adaptation du formalisme

L’évolution de la jurisprudence relative au défaut de figuration d’une partie nécessaire reflète une tension permanente entre deux impératifs : d’une part, garantir le respect des droits fondamentaux des justiciables et l’intégrité du débat contradictoire ; d’autre part, promouvoir l’efficacité judiciaire et prévenir les stratégies dilatoires. Cette dialectique a conduit à des ajustements significatifs au fil du temps.

La Cour de cassation a opéré un revirement notable dans un arrêt d’assemblée plénière du 7 juillet 2006, en abandonnant la distinction traditionnelle entre nullités textuelles et nullités virtuelles au profit d’une approche plus fonctionnelle. Désormais, l’accent est mis sur la finalité protectrice de la règle méconnue plutôt que sur son origine textuelle. Cette nouvelle orientation a permis d’assouplir le régime de la nullité pour défaut de figuration dans certaines hypothèses où la protection des parties absentes pouvait être assurée par d’autres mécanismes.

Vers une approche téléologique des nullités

La tendance jurisprudentielle récente s’oriente vers une interprétation finaliste de l’exigence de figuration des parties nécessaires. Plusieurs arrêts témoignent de cette évolution :

  • La première chambre civile, dans un arrêt du 11 décembre 2019, a refusé d’annuler une procédure pour défaut de mise en cause d’un créancier hypothécaire dans une action en nullité de vente immobilière, considérant que ses droits pouvaient être préservés par d’autres voies
  • La chambre commerciale, le 15 janvier 2020, a jugé que l’absence d’un codébiteur solidaire n’entraînait pas nécessairement la nullité de la procédure lorsque les moyens de défense invoqués n’étaient pas communs
  • La troisième chambre civile a précisé, dans un arrêt du 24 septembre 2020, que la mise en cause d’un syndicat de copropriétaires n’était pas indispensable dans un litige opposant deux copropriétaires sur des travaux affectant exclusivement leurs parties privatives

Cette approche plus nuancée conduit les juges à examiner in concreto si l’absence d’une partie compromet réellement la cohérence de la solution juridique ou porte atteinte à des droits substantiels, plutôt que d’appliquer mécaniquement des règles formelles.

Influence du droit européen et constitutionnel

L’évolution du droit des nullités procédurales s’inscrit dans un contexte plus large d’influence du droit européen et du bloc de constitutionnalité. La Cour européenne des droits de l’homme a développé une jurisprudence exigeant que les formalités procédurales ne constituent pas une entrave disproportionnée au droit d’accès au juge garanti par l’article 6 de la Convention.

Le Conseil constitutionnel, dans plusieurs décisions récentes, a rappelé que si le législateur peut imposer des règles de procédure strictes, celles-ci doivent rester proportionnées à l’objectif poursuivi et ne pas porter une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif.

Ces influences convergentes encouragent une application plus souple et contextuelle des règles relatives au défaut de figuration, privilégiant l’effectivité des droits sur le respect formel des procédures.

Les perspectives d’évolution pointent vers un équilibre renouvelé entre formalisme et pragmatisme. La doctrine processualiste moderne plaide pour une approche différenciée selon la nature des droits en jeu : maintien d’une rigueur accrue lorsque des droits fondamentaux sont concernés, mais plus grande flexibilité dans les contentieux purement patrimoniaux où les intérêts peuvent être préservés par des mécanismes compensatoires.

Cette mutation progressive du régime de la nullité pour défaut de figuration s’inscrit dans un mouvement plus général de modernisation de la justice civile, visant à concilier la sécurité juridique avec les exigences d’efficacité et de célérité. Elle reflète la recherche permanente d’un équilibre optimal entre protection des droits substantiels et rationalisation des formes procédurales, équilibre qui demeure au cœur des défis contemporains du droit processuel.

Stratégies pratiques face au risque de nullité procédurale

Face au risque de nullité pour défaut de figuration d’une partie nécessaire, les praticiens du droit ont développé diverses stratégies préventives et curatives. Ces approches pragmatiques visent à sécuriser les procédures tout en préservant les intérêts des justiciables.

Pour le demandeur, la prudence commande une analyse approfondie en amont de l’assignation. L’identification exhaustive des parties potentiellement concernées par le litige constitue une étape préliminaire indispensable. Cette cartographie des intérêts en présence dépasse la simple lecture des contrats ou titres de propriété pour englober une analyse systémique des effets potentiels du jugement sur les droits des tiers.

Techniques préventives

Plusieurs méthodes permettent de minimiser le risque d’omission d’une partie nécessaire :

  • La réalisation d’un audit précontentieux complet, identifiant l’ensemble des acteurs concernés par le litige
  • L’utilisation de clauses attributives de compétence dans les contrats multipartites, facilitant la concentration du contentieux
  • Le recours à des assignations conjointes ou à des interventions volontaires préventives
  • L’insertion de clauses de solidarité dans les contrats pluripartites, simplifiant les exigences procédurales ultérieures

La jurisprudence récente valorise ces démarches préventives. Dans un arrêt du 18 mars 2021, la deuxième chambre civile a considéré que « la diligence manifestée par le demandeur dans la recherche et l’identification des parties nécessaires constitue un élément d’appréciation de la régularité de la procédure ».

Pour le défendeur, l’exception de nullité pour défaut de figuration représente un moyen de défense stratégique qui doit être manié avec discernement. Son invocation tardive peut être sanctionnée comme abusive si le juge considère qu’elle relève d’une manœuvre dilatoire. La Cour de cassation a en effet précisé, dans un arrêt du 5 novembre 2020, que « constitue un abus de droit le fait d’invoquer tardivement une nullité pour défaut de figuration dont la partie avait connaissance dès l’origine et qu’elle a délibérément omis de soulever dans ses premières écritures ».

Réactions face à l’exception de nullité

Lorsque l’exception est soulevée, plusieurs réponses s’offrent au demandeur :

La régularisation immédiate par assignation en intervention forcée constitue souvent la réaction la plus efficace. Cette démarche permet de purger le vice tout en préservant les actes de procédure déjà accomplis. La jurisprudence admet généralement l’effet rétroactif de cette régularisation lorsqu’elle intervient avant toute décision sur le fond.

La contestation du caractère nécessaire de la partie prétendument omise représente une alternative stratégique. Le demandeur peut démontrer que les droits du tiers ne sont pas directement affectés par l’objet du litige ou que sa présence n’est pas indispensable à la cohérence de la solution juridique. Cette contestation s’appuie sur l’analyse fonctionnelle développée par la jurisprudence récente, qui privilégie l’appréciation concrète des intérêts en jeu plutôt qu’une application mécanique de catégories formelles.

Dans certains cas, la modification de l’objet du litige peut permettre d’éviter la nullité. En reconfigurant sa demande pour qu’elle n’affecte plus les droits du tiers absent, le demandeur peut échapper à l’exception de nullité. Cette stratégie suppose toutefois une grande vigilance quant aux risques de novation ou d’irrecevabilité des demandes nouvelles.

Les juridictions elles-mêmes ont développé des pratiques visant à concilier respect des règles procédurales et efficacité judiciaire. Le recours à la mise en cause d’office prévue par l’article 332 du Code de procédure civile s’est ainsi développé, particulièrement dans les contentieux complexes. Cette initiative du juge permet de régulariser la procédure tout en garantissant une solution cohérente et opposable à l’ensemble des parties concernées.

Ces stratégies pratiques témoignent d’une approche équilibrée de la nullité pour défaut de figuration, où le respect du formalisme s’accompagne d’une recherche constante de solutions permettant la poursuite du procès dans des conditions garantissant les droits fondamentaux de chacun. Elles illustrent la dimension profondément pragmatique du droit processuel contemporain, attentif tant à la sécurité juridique qu’à l’effectivité de la justice.

Perspectives d’harmonisation et réformes envisageables

L’état actuel du droit relatif au défaut de figuration d’une partie nécessaire révèle certaines disparités et incohérences qui appellent une réflexion sur d’éventuelles réformes. Les divergences d’approche entre les différentes chambres de la Cour de cassation, ainsi qu’entre les ordres judiciaire et administratif, créent une insécurité juridique préjudiciable tant aux justiciables qu’aux praticiens.

Une harmonisation semble souhaitable pour garantir une application plus cohérente et prévisible de cette cause de nullité. Plusieurs pistes de réforme méritent d’être explorées, s’inspirant tant des évolutions jurisprudentielles récentes que des expériences étrangères et des principes directeurs du procès moderne.

Clarification législative des critères d’identification

Une première voie d’amélioration consisterait à codifier les critères d’identification des parties nécessaires, actuellement dispersés dans une jurisprudence abondante et parfois contradictoire. Une modification de l’article 117 du Code de procédure civile pourrait expliciter ces critères, en distinguant plusieurs catégories :

  • Les parties dont la présence est expressément requise par un texte spécial
  • Les titulaires de droits indivisibles objet du litige
  • Les personnes dont les droits seraient irrémédiablement affectés par la décision
  • Les tiers dont l’absence compromettrait l’exécution effective du jugement

Cette typologie légale offrirait un cadre plus sûr pour l’appréciation des situations concrètes, tout en préservant une marge d’appréciation judiciaire nécessaire à l’adaptation aux spécificités de chaque litige.

Une réforme pourrait également introduire une distinction plus nette entre les hypothèses justifiant une nullité absolue et celles ne méritant qu’une nullité relative. Cette gradation des sanctions permettrait de réserver la sanction la plus sévère aux atteintes les plus graves aux droits fondamentaux, tout en prévoyant des mécanismes plus souples pour les irrégularités moins substantielles.

Modernisation du régime des régularisations

Le régime actuel des régularisations mériterait d’être modernisé pour favoriser la poursuite des procédures plutôt que leur anéantissement. Plusieurs innovations pourraient être envisagées :

L’instauration d’un mécanisme d’alerte précoce obligerait le juge, dès qu’il identifie l’absence d’une partie potentiellement nécessaire, à en informer les plaideurs et à leur accorder un délai pour régulariser la situation. Cette approche préventive, déjà pratiquée dans certains systèmes juridiques étrangers, permettrait d’éviter des nullités tardives après un long cheminement procédural.

La création d’un régime spécifique de représentation des intérêts des absents pourrait constituer une alternative à l’exigence de leur présence physique. Sur le modèle de ce qui existe en matière de procédures collectives avec les contrôleurs, un mécanisme de représentation ad hoc permettrait de garantir la prise en compte des intérêts des tiers sans paralyser la procédure.

L’introduction d’une procédure simplifiée d’intervention, inspirée des class actions américaines, faciliterait l’intégration des parties omises sans alourdir excessivement l’instance. Cette procédure pourrait prévoir une participation modulée selon le degré d’implication des intérêts concernés.

Intégration des technologies numériques

Les nouvelles technologies offrent des perspectives intéressantes pour résoudre certaines difficultés liées à l’identification et à l’implication des parties nécessaires :

Le développement de bases de données interconnectées (registres publics, fichiers administratifs, données cadastrales) faciliterait l’identification exhaustive des parties potentiellement concernées par un litige. L’intelligence artificielle pourrait analyser les caractéristiques du contentieux pour suggérer les personnes dont la présence serait souhaitable.

La dématérialisation des procédures et le recours à la visioconférence simplifieraient la participation effective de parties multiples, réduisant les contraintes logistiques qui conduisent parfois à omettre certains intervenants secondaires.

L’ensemble de ces réformes potentielles s’inscrirait dans une perspective plus large de modernisation de la justice civile, visant à concilier les exigences fondamentales du procès équitable avec les impératifs d’efficacité et de célérité. Elles témoigneraient d’une évolution du formalisme procédural vers une conception plus fonctionnelle, où les formes sont au service des droits substantiels plutôt qu’une fin en soi.

La question du défaut de figuration d’une partie nécessaire illustre parfaitement les tensions inhérentes au droit processuel contemporain, entre rigueur formelle et pragmatisme, entre protection des droits individuels et efficacité collective. Les évolutions envisageables démontrent que ces tensions ne sont pas insurmontables et qu’un équilibre dynamique peut être trouvé, préservant l’essence du droit au procès équitable tout en l’adaptant aux réalités et aux attentes de la justice du XXIe siècle.